Voix d’encre éditions & revue

Focus

Alain Blanc

ecrire@voix-dencre.net
http://www.voix-dencre.net

Les éditions doivent leur nom à René Char, Edmond Jabès et Christian Dotremont.
Elles conçoivent des livres issus de la rencontre active et féconde d’un poète et d’un artiste, sans précipitation et sans céder aux sirènes du mercantilisme.
Éditer de la peinture et de la poésie parce qu’entre elles se noue une histoire d’amour qui ne finit jamais et trouve dans le livre son champ d’élection, son meilleur support.
Elles publient également des livres d’écrivains disparus (Borne, Becker, Douvre, Jourdan, Dietrich, Daumal, Artaud, Marinetti) ainsi que des livres d’humour d’auteurs de langue française (Jarry, Renard, Satie, Dantinne) ou anglaise (Wilde, Bierce, Twain, Swift, Shaw, Fields).

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Texte extrait d’une publication du catalogue

Maintenant, je suis au bout de la ruelle, au carrefour d’une image désolée et splendide. Une vitrine de bois au rez-de-chaussée. Derrière un rideau sale, une lumière faible. Un appartement, sans doute une seule pièce. Un homme de dos, un vieil homme semble-t-il, préparant son repas. Je le vois, il ne me voit pas. Je reste pétrifié. En un instant, j’ai là l’image de la solitude de deux mille ans d’histoire humaine. Vivre pour connaître cette fin, cela a-t-il un sens ? Je m’approche. En effet, il s’agit d’une pièce unique au fond d’une ruelle de cette ville perdue. Je vois là une image sainte, Dieu m’invitant au repas que prépare le vieil homme. J’entends là des musiques où la grâce est l’unique chef d’orchestre. Mais je ne crois ni en Dieu ni aux anges et m’interroge pour savoir comment un seul Homme peut-il être laissé ainsi, au bord de pareille nuit, sans doute loin de ses enfants, des siens, dans un face à face que même un Saint ne supporterait pas. Aucune lumière ne brille au-dessus de ce rez-de-chaussée.
La nuit est prête à tout engloutir. La pluie me lave les pieds, le visage et je sais, ce soir, un peu mieux pourquoi il est bon d’écrire, de dire et de chanter. La grandeur est au bord de la nuit dans une fragilité extrême et non à la cour des Rois. Revenant à la maison, un homme me dit Bonsoir. Ce mot si simple m’accompagnera dans le sommeil.

Extrait de La nuit dévale la ruelle de Joël Vernet,
paru dans la revue VOIX D’ENCRE n° 62, printemps 2020