KHLEBNIKOV PLEURE
KHLEBNIKOV PLEURE
Anne Seidel
Éditeur :Unes
Livre
Langue d'origine :Allemand
Format :15,0 x 21,0 cm
Nombre de pages :96
Date de parution :17/09/2020
ISBN :9782877042192
Prix :19,00 €
Argumentaire :
Ce premier livre d’Anne Seidel se déploie comme un regard à la fois scintillant et rétrospectif, fait de très lents déplacements qui soulèvent délicatement paysages, histoire obscurcie et souvenirs. Regard transsibérien, glissement en errance à travers la nuit, à la fragile vibration d’une bougie, mais « regard qui ne sait rien de lui-même ». Poésie d’éclats, de reflets électriques sur la neige, livre miroir où figures du passé et du présent se superposent à travers la brume. La main d’Anne Seidel efface la buée et fait surgir des panoramas entre absence et visage, oubli et blancheur plane. Connaissance, surgissement, reconnaissance : tout se passe « de l’intérieur de l’œil ». Khlebnikov pleure est un jardin d’hiver où les échos des hommes et des territoires, aussi bien sensoriels que réels, imaginés ou traversés, se réverbèrent tout au long du poème et viennent se déposer sur la rétine, dans la mémoire, puis fondre à peine le sol touché, ou déposer au contraire une empreinte délicate, dans de nouveaux scintillements. C’est le livre des lumières perdues, muettes, en forme de « souvenir de neige », sous lequel doucement s’efface l’Europe de l’est, loin d’ici, s’efface dans les regards oubliés qui glissent sur la Neva. On ne sait pas trop ce qu’on regarde au loin, ce qu’on retient et ce qui parvient jusqu’à nous ; si des hommes souffrent encore, s’il pleut ou pas. Difficile de percevoir l’écho clair des larmes, des voix perdues, presque éteintes, chuchotées. Dans les reflets – plats reflets de lacs gelés, de maigres reliefs, un chien, une usine, un poème – joue, fragile, en apparitions-disparitions, l’attente et peut-être un peu de peur, choses tirées, enfouies, très lointaines : noires. Noires de silences, traces tranchantes de rails luisants dans la nuit. Dans le cœur de pays où affleurent encore de manière sourde les signes de l’exil et de la déportation. Cet « espace de neige », espace vu, tu, reste « impensé », sa continuité nous échappe, fragmentée, ressassée. Nous sommes nous-même enfouis entre présent et histoire, qui essayons de remonter nos traces sous la clarté paradoxale de la neige. Nos empreintes, entre les arbres, à travers les rêves, sont diffuses. Un passage à peine assez grand pour nous laisser passer. Des tas de ruines de « temps dérobé ». La douleur en héritage d’une idée russe abandonnée au fond de la mémoire, et de générations enfermées dans leur propre terre. Ici, au milieu de la clarté plane de la lumière d’hiver, nous sommes incertains d’être au bon endroit, ni de comprendre le poids du silence dans chaque mot. Nous qui cherchions à combler quelque chose, nous qui « nous sentions abandonnés » dans cette blancheur qui tombe.
Traduit de l'allemand par Aurélien Galateau
C’est un paysage d’Europe orientale, délicat et dévasté, habité d’abord par le silence, et que la jeune poète allemande Anne Siedel pénètre par effraction. Il y a des villes endormies, une chambre désertée, des regards muets et des souffrances oubliées. De rudes hivers où la pluie devient gel, puis neige, puis fumée venant emplir les creux. Et les fantômes de poètes disparus en une constellation cernée d’ombres. Le passé se mélange au présent, la lumière traverse le brouillard, la stagnation se dissipe un instant. Et, tissant la différence dans la répétition, l’enchaînement circulaire des poèmes fait ressurgir ce qui est perdu.
Estelle Lenartowicz, Lire, octobre 2020
Ce sont là des fragments que l’écrivaine qualifie de « lambeaux de Shakespeare », images mentales, proches de la rêverie et de la remémoration, évoquant une réalité perçue comme illusoire, lointaine et presque irréelle à force de fugacité. Ainsi, des paysages de neige et de pluie, tantôt lumineux ou sombres, donnent-ils lieu à ces éclats saisissants que « le silence englouti des paroles » laisse advenir. Peu à peu, nous approchons les « marges de l’Europe orientale »
et tandis que la traversée de ces paysages s’accomplit, le trajet même de leur perception s’y superpose formant la trame essentielle de ces compositions sérielles. Il s’agit là de quêter par le regard le début de tout poème et de suggérer par l’affleurement des mots, trouble, confusion, ou encore, peur et paralysie. Aussi ample que silencieux, l’espace qui s’ouvre ici se déploie tel un lieu d’intériorité et de respiration et tout autant d’inquiétude : « le monde était muet, nous nous sentions abandonnés ».
Emmanuelle Rodrigues, Le Matricule des Anges, septembre 2020