Les États généraux permanents de la poésie, 2024
La traduction du poème
Ce septième temps de notre parcours critique (après « La visibilité », « Le devenir », « Les métamorphoses », « Les finalités », « La pensée » et « Le son » du poème ) s’empare d’un thème qui questionne, depuis la naissance même des écritures, les espaces partagés entre tradition et modernité, espaces volontairement sans frontières où s’écrivent et se confrontent les langues, les espaces polymorphes de la traduction.
Si l‘on est persuadé qu’il convient de sans cesse revenir sur les traductions, sensibles plus encore que les textes d’origine à l’air du temps, aux modes dominantes, aux contextes littéraires changeants autant qu’aux habitudes, voire aux prétentions exhaustives des traducteurs, il s’avère nécessaire parallèlement de se pencher sur les arcanes et les principes qui président à ce travail de traduction, de reformuler les questions toujours ouvertes que se posent écrivains, poètes et traducteurs devant le champ babélien des écrits dont le sens circule entre les langues.
Dire presque la même chose, c’est ainsi qu’Umberto Eco intitulait un livre exemplaire, au sens propre, en 2003. Dès les premières lignes, il écrivait :
« Que signifie traduire ? On aimerait donner cette première réponse rassurante : dire la même chose dans une autre langue. Si ce n’est que, d’abord, on peine à définir ce que signifie « dire la même chose », et on ne le sait pas très bien pour les opérations du type paraphrase, définition, explication, reformulation, sans parler des substitutions synonymiques. Ensuite parce que, devant un texte à traduire, on ne sait pas ce qu’est la chose. Enfin, dans certains cas, on en vient à douter de ce que signifie dire. »
À défaut d’apporter une réponse au sémiologue turinois, il nous semble raisonnable de remettre sur le métier plusieurs questions, certes souvent irrésolues à chaque fois que re-travaillées, mais toujours fertiles en avancées émotives et partagées. Par exemple, et parmi elles :
– Écrire, est-ce traduire ? Quels liens, quelles relations entre la pensée et la structure des langues ? Laquelle détermine l’autre ?
– Comment prendre en compte les formes rhétoriques propres à chaque tradition poétique ?
– L’Intelligence Artificielle et les logiciels de traduction sont-ils des outils pertinents, au mieux des « aides » à la traduction ?
– Comment traduire la poésie des cultures de l’oralité, plus encore la poésie sonore, la poésie action, la poésie visuelle ?
Gageons que nos tables rondes révèleront consensus et dissensus, affirmeront la possible impossibilité de la traduction, l’informulable sens du mot sur le bout de la langue, dont le sens est là hors d’un signifiant qui nous échappe. Derrida avait-t-il raison d’écrire « En un sens, rien n’est intraduisible, mais en un autre sens tout est intraduisible. » ?