L’usine de tissage
Je reviens rarement dans mon village natal. Ce que j’ai connu, enfant, a disparu. Là où s’élevaient l’usine et la maison,
un immeuble sans charme a été construit et d’autres enfants jouent dans la cour. Lorsque je prends la route du retour, le
pont à peine franchi, les images du présent s’effacent et font place à celles du passé, toujours vivantes en moi.
Notre maison fait partie de l’usine et l’usine de la maison.
Derrière le long bâtiment industriel s’étend le jardin potager. La façade donne sur une ferme. Le soir, il suffit de
traverser la rue pour aller chercher le lait. Les jours d’été, avant les repas, on va puiser l’eau fraîche au puits.
Une allée entoure la pelouse où les deux petites – ma soeur et moi – font des tours de vélo. Dès le printemps, ma mère
guette la floraison du pommier du japon, du forsythia et des prunus. Elle fleurit les plates-bandes et ignore la cour de
l’usine.
Dès le petit matin, la cloche appelle les ouvrières au travail. Le bruit des métiers à tisser entretient une rumeur qui nous
accompagne au long des heures. Le dimanche, le silence réveille les deux petites. Quatre fois par jour, la cour s’anime. Bruit
des pas, des paroles échangées et des rires. Lorsque le calme revient, la cour est à nouveau l’aire de jeu des deux petites. […]
Geneviève Metge, Retenir ce qui s’efface, 2020