interflora
la fleuriste a dit : cette boutique, c’est toute ma vie,
c’est la chair de ma chair, et depuis que j’ai entendu ça
je n’arrête pas d’y penser. Incapable de dormir, je me
retourne dans le lit fouetté par des scènes horticoles
réservées à un public averti. Le lendemain, j’entre dans
dans la boutique à 9h du matin, et elle, tout de suite :
je peux vous aider ?… Ni une ni deux je fourre le nez
dans la première tulipe qui vient, lorgnant la fleuriste
pour voir ce que ça lui fait, et je recommence :
le nez, la fleur, le pistil violenté, le pervers olfactif au
bord de l’implosion, elle qui commence à sentir monter
l’angoisse, et moi qui touille du nez dans les pétales,
à la limite du claquage, un brochet dans le pantalon
qui bat contre la cuisse. Vous avez un problème ?
Dit-elle et sans lui répondre je continue de renifler
gratuitement ses fleurs – monsieur je vais appeler
la police – et je me mets à trifouiller les pivoines tout
en la narguant : regarde ! Regarde un peu ce que je fais
avec tes fleurs ! Je les renifle sans payer ! Je vais même
jusqu’à nager le crawl dans la verdure, le nez dans un
climat d’érotisme ardent, et je ressors de la boutique
avec ma conscience pour moi tout seul, et derrière moi
la fleuriste : hashtag-je-cherche-la-sortie
Aldo Qureshl, La nuit de la graisse, 2019